Saint Thomas d'Aquin et l'Immaculée Conception
"Tous les enfants d'Adam sont conçus en péché, excepté la très pure et très digne Vierge Marie, qui a été entièrement préservée de tout péché originel et véniel." (Commentaires sur le chapitre troisième de l'Épître aux Galates, leçon sixième, premières éditions)
"On peut trouver quelque créature si pure, qu'il ne puisse rien être de plus pur parmi les choses créées. Telle a été la pureté de la bienheureuse Vierge, qui a été exempté de tout péché originel et actuel. (I Sent., dist. 44, quaest 1, art 3.)
Saint Thomas d'Aquin n'était pas infaillible en tant que tel – puisque le charisme de l'infaillibilité n'appartient qu'aux Souverains Pontifes. Cependant, l'Eglise nous dit, par la voix du Pape Benoît XIV, que "ses écrits exempts de toute erreur, sont plus lumineux que le soleil, [...] l'Eglise, qui admire son érudition, reconnaît en avoir été éclairée" (Bref adressé à l'Ordre des Frères Prêcheurs). Et pourtant, dans le monde théologique, saint Thomas d'Aquin et son école ont passé pour les adversaires du privilège de l'Immaculée Conception accordé à la Bienheureuse Vierge Marie. Cet avis, partagé maintenant par "l'opinion publique", est pourtant loin d'être exacte. Plus d'une fois, les disciples de saint Thomas et les fils de saint Dominique ont voulu combattre cette opinion communément exagérée. C'est ainsi qu'encore, en 1854, le Révérend-Père François Gaude, de l'Ordre des frères prêcheurs, recteur du séminaire Pontifical du cardinal Pie, s'en plaignait hautement :
"Je ne sais par quelle fatalité l'opinion que lesreligieux de notre Ordre et les disciples de notre école sont les adversaires du sentiment de l'Immaculée Conception s'est répandue dans le public. Et ce bruit accusateur, qui a su faire a son chemin, est tellement accrédité dans plusieurs esprits, qu'il n'est rien de plus commun et de plus ordinaire que de l'entendre répéter. Pour le détruire et le ruiner rien n'a réussi : ni ceux de nos auteurs qui ont professé clairement leur croyance à ce privilège, ni la foule assez nombreuse de nos théologiens qui l'ont enseigné et dont on cite soit les paroles soit les noms, ni les panégyriques prononcés sur ce mystère, ni l'expression d'Immaculée Conception elle-même, introduits dans la liturgie... "
D'éminents auteurs, tels que le Cardinal Gousset, saint Jean Eudes, le R.P Spada ont démontré qu'il était pour le moins douteux de soutenir que saint Thomas d'Aquin avait nié l'Immaculée Conception :
"Si nous considérons bien sérieusement la doctrine de l'Angélique docteur, nous verrons sans en pouvoir douter qu'il a réellement enseigné l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie" car sa "doctrine constamment enseignée conduit inévitablement à professer le privilège de l'immaculée conception"
Le R.P Spada, maître en théologie et procureur général de l'Ordre des frères prêcheurs, démontre dans un important ouvrage (Saint Thomas et l'Immaculée Conception) qu'il était "impossible que l'Angélique docteur ait admis, dans la Bienheureuse Vierge, la tache originelle, après l'avoir déclarée simplement exempte de la tache du péché véniel." La conclusion de sa complète et très sérieuse étude est sans appel :
"De tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, il est pleinement évident que notre Angélique maître a expressément enseigné, dans le premier livre des Sentences, que la Bienheureuse Vierge a été exempte du péché originel et du péché actuel, et qu'il n'a point rétracté cette doctrine dans ses ouvrages postérieurs; bien mieux, que les principes de la doctrine exposée dans la Somme de théologie conduisent à établir cette immunité."
Beaucoup rétorqueront que saint Thomas d'Aquin a cependant nié formellement l'Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge Marie dans deux voire trois passages de ses manuscrits (précisons en premier lieu qu'à cette époque, ce dogme n'avait pas été encore proclamé). Non seulement il a été démontré que des erreurs d'analyse et d'interprétation ont été développées par beaucoup mais que les écrits cités ne figuraient pas dans les éditions primitives publiées de saint Thomas. Le passage le plus souvent cité contre l'Immaculée Conception se trouverait dans la troisième Somme théologique ; dans les éditions récentes de la Somme (part. III, 9, 27, art. 2), on fait dire au Docteur Angélique que Marie "n'a été sanctifiée et purifiée du péché originel, ni avant l'animation, ni dans l'animation, mais après l'animation" tandis que ces paroles ne se lisent point au lieu cité dans les premières éditions , ni dans le manuscrit de Séville, ni dans celui qui se conservait au couvent des Dominicains de Marseille, ni dans d'autres.
"La difficulté [de supposées contradictions] disparaît si l'on compare entre elles les éditions anciennes et modernes de ses oeuvres, et si l'on reconnaît, comme on est forcé de le reconnaître, que plusieurs de ses ouvrages, notamment ceux où il parle de la Conception de Marie, ont subi des suppressions ou d'évidentes altérations. Ce fait s'appuie sur le témoignage aussi détaillé qu'authentique de plusieurs savants Dominicains." (Cardinal GOUSSET, La croyance générale et constante de l'Eglise touchant l'Immaculée Conception)
"Si vous nous faites voir quelque autre lieu, dans les livres de saint Thomas, où il semble parler contre la Conception immaculée de notre divine Mère, nous aurons droit de le soupçonner de corruption, vu particulièrement que ce saint Docteur s'explique si clairement dans ses Commentaires sur le premier des Sentences où il dit que la bienheureuse Vierge a été pure de tout péché, et qu'elle a possédé le souverain degré de la pureté, c'est-à-dire, qu'elle est, comme dit saint Anselme, la plus éclatante pureté qui se puisse imaginer, après la pureté infinie de Dieu" (Saint Jean Eudes, L'enfance admirable de la Très Sainte Mère de Dieu)
"Nous ne serions pas surpris que, comme on l'a prétendu, le texte de saint Thomas n'ait été falsifié dans toute cette question, où l'on ne retrouve pas sa logique habituelle. Il est certain qu'il n'a pas mis la dernière main à cette troisième partie de la Somme théologique, qui n'a paru qu'assez longtemps après sa mort: aussi n'en trouve-t-on que de rares manuscrits, tandis que ceux de la deuxième partie et surtout de la première abondent.... Il est également certain qu'il a professé la doctine de l'Immaculée Conception dans son Commentaire sur l'Epitre aux Galates, où, s'exprimant comme le concile de Trente, il dit: "On excepte la Vierge très digne de louanges, la très-pure Marie, qui fut exempte du péché originel et du péché acctuel"." (Petite Somme théologique de saint Thomas d'Aquin: à l'usage des ecclésiastiques et des gens du monde, T. IV, 1862)
Nous mettons donc en ligne trois documents (pdf) reprenant les écrits de saint Jean Eudes et du Cardinal Gousset ainsi que la remarquable étude du R.P Spada :
- Extrait de l'Enfance admirable de la Très Sainte Mère de Dieu (1676) de saint Jean Eudes (4 pages)
- Extrait de La croyance générale et constante de l'Eglise touchant l'Immaculée Conception (1855) du Cardinal Gousset (3 pages)
- Saint Thomas d'Aquin et l'Immaculée Conception du R.P Spada (317 pages)