Contre le faux raisonnement de "l'Eglise décapitée"
Ici où là, on entend ou on lit parfois le raisonnement suivant : "L'Eglise est fondée sur Pierre, c'est-à-dire sur le Pape qui est la tête de l'Eglise. Or, vu que le Pape est la tête de l'Eglise, le fait que depuis 40 ans le Siège apostolique est vacant signifie donc que l'Eglise a, pour ainsi dire la tête décapitée, donc qu'elle est moribonde."
Plusieurs points de ce raisonnement sont erronés. Tout d'abord, une chose est absolument certaine : l'Eglise catholique ne peut pas disparaître :
"L'Eglise n'est point une sorte de cadavre : elle est le Corps du Christ, animé de sa vie surnaturelle (...) mais comme l'Eglise est telle (corps et âme unis) par la volonté et par l'ordre de Dieu, elle doit rester telle sans aucune interruption, jusqu'à la fin des temps, sans quoi elle n'aurait évidemment pas été fondée pour toujours, et la fin même à laquelle elle tend serait limitée à un certain terme dans le temps et l'espace: double conclusion contraire à la Vérité. Il est donc certain que cette réunion d'éléments visibles et invisibles, étant, par la volonté de Dieu, dans la nature et la constitution intime de l'Eglise, doit nécessairement durer autant que durera l'Eglise elle-même." (Encyclique Satis Cognitum)
Ubi Petrus, ibi Ecclesia: Là où est Pierre, là est l'Eglise. (Saint Ambroise, Psal. XL.)
A noter que le sens à donner à cet enseignement est celui-ci :
Mgr Félix Dupanloup (1802-1878) : "On dit bien, et il faut le dire : Ubi Petrus, ibi Ecclesia [...] Le vrai et légitime usage pratique de ce mot célèbre, c'est que, dans les divisions produites par les schismes et les hérésies, pour reconnaître où est l'Église, il faut regarder où est le Pape. C'est ainsi que nous sommes certains que l'Église russe, l'Église anglicane ne sont pas l'Église de Jésus-Christ, parce qu'elles n'ont pas le Pape avec elles; et au contraire l'Église catholique romaine est la vraie Église, parce qu'elle reconnaît le successeur de Pierre pour Chef : Ubi Petrus, ibi Ecclesia?"
Il est bien sûr exact que "l'Eglise est fondée sur Pierre" (Saint Jérôme).
Cependant, le fait que Notre Seigneur ait fondé son Eglise sur Pierre et que l'on peut savoir où elle se trouve en suivant le Pape (quand il y en a un) ne signifie pas que le Pape en est la tête.
Comme l'écrit l'abbé Marchiset dans sa publication Constat doctrinal sur la Tradition catholique :
"La question est de savoir si la situation qui résulte de l’absence d’un véritable et par conséquent légitime souverain Pontife et de l’occupation du siège de Pierre par un usurpateur signifie la destruction totale, la disparition absolue de l’Eglise, bref si les portes de l’enfer ont prévalu contre Elle, ce qui serait contraire aux promesses de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est donc fort regrettable qu’actuellement ceux qui entreprennent des ouvrages qui traitent de théologie du Corps mystique mais qui dans l’analogie qu’ils font entre la tête d’un corps humain qui reçoit et qui influe dans tous ses membres et le pape dont ils parlent en tant que tête de l’Eglise, ne fasse pas assez bien la distinction, entre le Christ, tête de Son Corps mystique qui est l’Eglise et Son vicaire sur terre, chef ou pasteur de son troupeau, celui dont Il lui a confié la charge."
C'est ce qu'enseigne très bien saint Augustin, docteur de l'Eglise, dans son traité sur l'Eglise:
"La tête qui est-elle [de l'Eglise] ? Celui qui est né de la Vierge Marie. Son corps qui est-il ? Son Epouse, c'est-à-dire l’Eglise (…)". "Que le Christ parle donc, puisque, dans le Christ parle l’Eglise, et dans l’Eglise parle le Christ : la tête dans le corps et le corps dans la tête." (cité dans L'Eglise selon saint Augustin, de M.F. Berrouard O.P.)
Le Pape Boniface VIII dit, tout comme son successeur Pie XII, que l'Eglise n'a qu'une tête : le Christ. Cependant, puisque le Pape régnant tient la place de Notre Seigneur sur terre et est par conséquent la tête visible du corps social de l'Eglise revient à dire que "le Christ et son Vicaire ne forment qu'une Tête" :
Boniface VIII : "Cette Eglise, une et unique, n’a qu’un seul corps, une seule tête, et non deux têtes comme si elle était un monstre, c'est-à-dire le Christ et le vicaire du Christ, Pierre et le successeur de Pierre." (Bulle Unam sanctam au Roi de France Philippe IV – 18 novembre 1302)
Pie XII : "Car Pierre, par la vertu du primat, n'est que le Vicaire du Christ, et il n'y a par conséquent qu'une seule Tête principale de ce Corps, à savoir le Christ; c'est Lui qui, sans cesser de gouverner mystérieusement l'Eglise par lui-même, la dirige pourtant visiblement par celui qui tient sa place sur terre, car depuis sa glorieuse Ascension dans le Ciel, elle ne repose plus seulement sur Lui, mais aussi sur Pierre comme sur un fondement visible pour tous [...] Que le Christ et son Vicaire ne forment ensemble qu'une seule Tête, Notre immortel prédécesseur Boniface VIII l'a officiellement enseigné dans le Lettre Apostolique Unam sanctam." (Encyclique Mystici Corporis - 29 juin 1943)
Cependant, on ne doit pas penser que l'on peut "s'attacher au Christ, Tête de l'Eglise, sans adhérer fidèlement à son Vicaire sur la terre." (Encyclique Mystici Corporis)
Effectivement, le fait que le Christ soit la tête de l'Eglise peut amener certains estimer (comme les protestants par exemple) qu'il n'y a pas besoin de reconnaître ou de suivre le Pape. Certains croient pouvoir s’attacher au Christ chef de l’Eglise, et simultanément, mépriser son Vicaire sur la terre ; ils se trompent, comme le juge le Pape XII. Il est bien évident qu'en règle normale, l'Eglise est pourvue d'un Pape qui dirige le troupeau qui doit lui être soumis ; le Pape est donc la tête visible du corps social de l'Eglise comme l'écrit Pie XII.
Saint Paul : "Il [le Christ]est la tête du corps, qui est l'Église; c'est en lui que commence la vie nouvelle, il est le Fils premier-né, le premier à avoir été ramené d'entre les morts, afin d'avoir en tout le premier rang." (Col.1, 18)
Le Pape est dit "chef de l'Eglise", en tant qu'il est le vicaire, le représentant du seul chef de l'Eglise : le Christ. Toutefois, nous pouvons bien évidemment dire qu'il est le chef de l'Eglise militante.
L'absence, même prolongée, de Pape ne signifie donc pas "décapitation de l'Eglise". Dans le concret, il est évident que nous pâtissons tous de cette absence mais il ne faut pas oublier que :
1. l’Église catholique et le Siège apostolique sont des personnes morales de droit divin (Droit canon - 100).
2. Une personne morale, par sa nature, est perpétuelle, elle s’éteint par l’acte de l’autorité légitime qui la supprime, ou si, pendant l’espace de cent ans, elle a cessé d’exister (canon 102).
3. Étant de nature perpétuelle, l’Église catholique ne peut pas disparaître, fût-elle privée temporairement de Pape.
"D'après Gierke, la notion Siège apostolique a été dégagée dès le Moyen Age par les canonistes pour marquer la permanence de l'autorité centrale dans l'Église, quels que soient les changements susceptibles de se produire dans les personnes qui l'exercent. Le pouvoir en effet, est attaché à la fonction, non à l'individualité du fonctionnaire. D'où il suit que l'autorité souveraine est attachée à la dignité pontificale et survit à la disparition des personnes qui en sont revêtues." (Dictionnaire de droit canonique, Tome VII, col.837-838, ed. 1965)
Mgr Gibier (1849-1931) : "Jésus-Christ donne au Pape l'immortalité. [...] Le Pape meurt ... mais, remarquez-le bien, sa primauté n'est pas un privilège personnel. Elle survit à l'homme qui disparaît [...] Le Pape est mort. Vive le pape !" (Conférences aux hommes, l'Église et son oeuvre, tome 4, 1905.)
Ainsi, notre situation actuelle de vacance de la Chaire de St Pierre ne contredit ni l'indéfectibilité ni la permanence et la sauvegarde de l'Eglise catholique :
R.P. Goupil : "Remarquons que cette succession formelle ininterrompue doit s'entendre moralement et telle que le comporte la nature des choses : succession de personnes, mode électif, comme l'a voulue le Christ et l'a comprise toute l'antiquité chrétienne. Cette perpétuité n'exige donc pas qu'entre la mort du prédécesseur et l'élection du successeur il n'y ait aucun intervalle, ni même que dans toute la série des pasteurs aucun ne puisse avoir été trouvé douteux ; mais “on entend par là une succession de pasteurs légitimes telle que jamais le siège pastoral, même vacant, même occupé par un titulaire douteux, ne puisse réellement être réputé tombé en déshérence ; c'est-à-dire encore que le gouvernement des prédécesseurs persévère virtuellement dans le droit du siège toujours en vigueur et toujours reconnu, et que toujours aussi ait persévéré le souci d'élire un successeur.” (Ch. Antoine, “De Ecclesia”, 5ème édition, 1946)